Le français en Suisse romande
Cette rubrique est vouée à documenter et illustrer les caractéristiques régionales du français parlé en Suisse romande. Elle s’explore en partant de questions sur le sujet (FAQ) et elle propose des éléments d’explication accompagnés d’exemples sonores.
Comment citer les articles de cette FAQ?
Nom de l'auteur (2021-2024), "Intitulé de la question", FAQ Le français en Suisse romande, OFROM-Enseignement, https://ofrom.unine.ch
- 1. Qu’est-ce que le français de Suisse romande?
- 2. D’où vient le français parlé en Suisse romande?
- 3. Langue, patois, dialecte: quelles différences?
- 4. Que signifie le mot « dialecte » en Suisse?
- 5. Qu’est-ce qu’un helvétisme?
- 6. Quelles sont les particularités linguistiques romandes?
- 6.1. Lexique
- 6.2. Prononciation
- 6.3. morphosyntaxe
- 7. Y a-t-il un accent romand?
- 8. Les Suisses romands parlent-ils lentement ?
- 9. Qu’est-ce qu’un germanisme?
- 10. Qu’est-ce qu’un statalisme?
- 11. Qu’est-ce que le « français fédéral »?
- 12. Comment les Romands jugent leur manière de parler?
Le français fait partie des quatre langues nationales de la Suisse. D’après l’Office fédéral de la Statistique (OFS), le français est déclaré langue principale par 23% de la population, vivant majoritairement dans l’ouest du pays, à savoir la Suisse francophone appelée Suisse romande. L’allemand constitue la langue majoritaire du pays, il est cité comme langue principale par 62% de la population. Ce chiffre éclipse en fait une réalité plus complexe : c’est le dialecte alémanique, se déclinant lui-même en de nombreuses variétés, qui est essentiellement parlé au quotidien, tandis que l’allemand standard est employé principalement à l’écrit surveillé et oralement dans certains contextes institutionnels ou publics. Ensuite, l’italien est parlé principalement par 8% des habitants, vivant au sud-est du pays. Ici également, il faut mentionner la pratique du dialecte tessinois dans certains contextes du quotidien, mais dans une mesure bien moindre que la situation du dialecte alémanique. Enfin le romanche, qui rassemble lui aussi différents «idiomes» d’origine rhéto-romane des Grisons, est déclaré langue principale pour 0,5% des résidents de la Suisse. D’autres langues, dites étrangères, sont parlées en Suisse, la plus citée comme langue principale étant l’anglais (6%), devant le portugais (3,5%) (les personnes pouvant indiquer plusieurs langues principales, le total dépasse 100%).
Le français de Suisse romande se réfère à la langue française telle qu’elle est pratiquée dans la région de la Suisse romande. Cette variété de français partage un noyau de traits communs avec le français dit «de référence» (c’est-à-dire la variété présentée comme dépourvue de particularités régionales, celle décrite dans les ouvrages de référence et prise comme modèle d'enseignement, implicitement ou explicitement assimilée au français de Paris, siège des institutions et des médias français) tout en s’en distinguant sur certains aspects. Quant à la notion de français «standard», certains linguistes préfèrent y renoncer, le concept se révélant peu saisissable et peu empirique, car fondé sur une norme variable et arbitraire (quel groupe géographique et social parle un ou le français réputé «standard»? Sur quels critères identifie-t-on ce groupe?).
L’étendue de ces caractéristiques distinctives ne coïncide toutefois pas réellement avec le territoire géographique de la Suisse romande. Étant donné que celle-ci partage une grande partie de son histoire linguistique avec les régions françaises voisines (cf. «D’où vient le français de Suisse romande?»), il est difficile de l’en détacher complètement. En effet, certaines particularités attestées en Suisse romande s’étendent au nord-est de la France parfois jusqu’en Belgique) (par ex. l’adjectif brun pour qualifier la couleur marron des yeux, d’un objet, etc., ou la prononciation du t final du mot vingt). D’autre part, certaines expressions en usage en Suisse romande sont également employées dans d’autres régions de la francophonie, en particulier les archaïsmes (par ex. le système des noms de repas : déjeuner, dîner, souper, dominant en Suisse, en Belgique et au Canada, attesté dans de nombreuses régions de France mais également en Haïti et dans les anciennes colonies belges d'Afrique (RDC, Burundi, Rwanda), les cardinaux septante et nonante en Suisse et en Belgique). A l’inverse, certains éléments linguistiques ne sont utilisés que dans quelques régions de Suisse romande (huitante en Valais, Vaud et à Fribourg, chlaper «boire avidement» dans le Jura). Cela dit, il arrive que l’usage ou le sens de régionalismes, appelés dans ce cas statalismes (voir question 10), coïncide avec les frontières géographiques (natel «téléphone portable», syndic «maire»). Leur nombre et leur fréquence élevée au quotidien contribuent à doter le français de Suisse romande d’une forme d’identité. Reste que par la variété de ses particularités, le français parlé en Suisse romande constitue une réalité peu homogène.
Laure Anne Johnsen, professeure titulaire, ILCF, Université de Neuchâtel
Pour aller plus loin :
Andreassen, H., Maître, R. & Racine I. (2010), «Le français en Suisse : éléments de synthèse» in Detey et al. Les variétés du français parlé dans l’espace francophone. Ressources pour l’enseignement. Paris : Ophrys.
Kristol, A. (1996), «Dialectes, français régional et français de référence : une dynamique complexe». Annales de l’Université de Neuchâtel 1994-1995, p. 228-241.
Thibault, A. (1997). Dictionnaire suisse romand. Carouge : Éditions Zoé.
Thibault, A. (2017), «Suisse», in Ursula Reutner (éd.), Manuel des francophonies. Berlin: De Gruyter Mouton, p. 204-225.
Liens utiles:
- Le Blog Français de nos régions- Le site de l’Office fédéral de la statistique, page « langues »
- La Base de données lexicographiques panfrancophone - Suisse
Illustrations sonores et géographiques :
brun Définition du DSR tiré de la BDLP suisse
euh mon pull était brun par exemple ça les stressait beaucoup trop
j'ai mes autres souliers des souliers bruns qu'allaient plus du tout avec
vingt (consonne finale [t] prononcée en fin de syntagme)
une armoire de deux mètres vingt sur un mètre
on fout le camp | _ | pis c'était huit heures huit heures huit heures vingt huit heures vingt-cinq
ils la revendent euh | _ | quatre francs vingt et j'ai vu dans un ou eux deux autres magasins | elle sera à quatre francs soixante cinq francs
dès qu'elle fait plus de cinq cents kilos je me sens plus à l'aise qu'un petit chien qui en fait vingt euh qui me montre les dents en fait
déjeuner Définition du DSR tiré de la BDLP suisse
dîner Définition du DSR tiré de la BDLP suisse
souper Définition du DSR tiré de la BDLP suisse
pis vous alliez tôt le matin
six heures euh six sept heures le matin | _ | pour moi | _ | parce que j'étais quand même encore petite | _ | et après euh souvent euh y a | bon ben comme | _ | % | _ | tous les jours y avait le | _ | le déjeuner | _ | après euh on | partait au champ
et pis euh après je fais le ménage dans le chalet | _ | le dîner l'après-midi je suis un peu tranquille | _ | jusqu'à trois heures et demie quatre heures je dois aller traire
donc voilà généralement euh le dîner se finit aux alentours | de midi et quart midi et demie | _ | donc moi à ce moment-là je j'ai fini mon service euh du matin
on a dit ben | _ | < ben oui> pour dîner c'était pour le dîner ou pour le souper ? | _ | _ | pour le dîner pour le souper ouais
ma copine genevoise elle venait souper pis après elle est restée dormir
septante Définition du DSR tiré de la BDLP suisse
huitante Définition du DSR tiré de la BDLP suisse
nonante Définition du DSR tiré de la BDLP suisse
et ça aussi c'est assez impressionnant ça veut dire que on va avoir cinquante soixante septante huitante vendangeurs
donc euh on est nous on est particulièrement fans de ces | _ | des groupes des années septante huitante donc euh groupes de rock groupes euh
et pis après ben | _ | on a fait la villa en huitante-deux | _ | pis après ben on a eu les enfants
pour moi ça fait nonante mètres carrés habitables
natel Définition du DSR tiré de la BDLP suisse
j'avais plus de batterie à mon natel
mais le pire c'est que je me suis rendue compte que j'avais oublié mon natel
mais t'as dit quoi alors | _ | ben j'ai dit que t'avais oublié ton natel au bureau | bureau | non mais | _ | au début quand t'as répondu t'as dit quoi
syndic Définition du DSR tiré de la BDLP suisse
mais on était tous au même point même les fils de | _ | de paysan c'était on était tous au même point | on n'avait on n'a pas plus d'argent le fils du syndic il avait pas plus que nous | _ | on était tous au même point quoi
pis eux ils sont nés avant la déclaration d'impôts de trente-sept | _ | donc il a eu trois gamins d'un coup | _ | pis le syndic a dit au receveur ben c'est pas un farfelu c'est | _ | _ | c'est la vérité
pendant une heure à peu près il m'a dit que j'étais pas | # | euh que je connaissais rien sur | # | euh d'ailleurs je connaissais pas le nom des conseillers d'État | _ | ni du syndic de | # | _ | donc moi j'étais persuadée que c'était c'était râpé
Comme toute la Suisse actuelle, la Suisse romande a été romanisée au début de notre ère, suite à la conquête romaine. Contrairement à la Suisse alémanique, elle est aussi restée latine. L’arrivée du peuple germanique des Burgondes en Suisse occidentale au Ve siècle a laissé peu de traces. Celle des Alamans en Suisse orientale à partir du VIIe siècle, en revanche, a déplacé la frontière linguistique au terme d’un processus séculaire.
Cette ancienne appartenance au monde latin ne signifie pas que la Suisse romande ait toujours été de langue française. Toutes les régions romandes situées au sud du Jura appartiennent historiquement au francoprovençal, langue galloromane dont les spécificités sont attestées dès le VIe siècle dans la zone de rayonnement des voies de transit alpin (Grand et Petit Saint-Bernard) qui reliaient Aoste à Lyon. Seul le canton du Jura appartient au domaine franc-comtois, oïlique, c’est-à-dire à la famille des langues d’oïl. Le Jura bernois est une zone de transition (parlers franc-comtois dans le nord-est, francoprovençaux dans le sud-ouest, intermédiaires au centre).
Carte des dialectes en Suisse romande et dans les régions environnantes durant le Moyen Âge, Kristol (à par.) sur la base de Tuaillon (1972).
Le français arrive en Suisse romande sous forme écrite, en deux étapes.
Au Moyen Âge, lorsque l’écrit en langue vernaculaire commence à remplacer le latin (XIIIe - XVe siècles), les textes administratifs adoptent les modèles du français de l’Est bourguignon (Dijon, Besançon), tout en intégrant certaines particularités locales. Depuis ses débuts (Othon de Grandson, †1397), pratiquement toute la littérature romande est également d’expression française; le francoprovençal n’a jamais développé de tradition écrite majeure. Le français écrit est enseigné dans les écoles élémentaires attestées dans les petites villes romandes depuis le XIVe siècle, alors que l’expression orale reste dialectale. La connaissance du moins passive du français dans une partie des populations citadines a facilité l’introduction de la Réforme protestante au XVIe siècle, propagée surtout par des prédicateurs d’origine française.
Dès le milieu du XVIe siècle, c’est le modèle parisien qui s’impose comme forme de prestige incontestée. La Réforme protestante a été décisive pour cette évolution, l’activité de Calvin ayant attiré à Genève des humanistes et imprimeurs parisiens de renom.
Jusqu’au XVIIIe siècle, les parlers romands restent le véhicule de la communication orale quotidienne, dans toutes les régions et dans tous les milieux sociaux, mais tous ceux qui savent lire et écrire le font naturellement en français. La pratique dialectale commence à fléchir dans les villes vers la fin du XVIIIe siècle. Le déclin des parlers romands s’accélère au XIXe siècle par l’adoption du français comme langue de la vie courante dans les régions les plus industrialisées qui accueillent un grand nombre de migrants internes d’origine alémanique. À Neuchâtel et dans le Jura sud, les derniers locuteurs dialectophones disparaissent au début du XXe siècle. À l’heure actuelle, même dans les régions catholiques et rurales les plus conservatrices, la disparition des parlers autochtones est imminente.
Le français s’est donc introduit en Suisse romande par le biais de l’écrit et de l’école; son acquisition demandait un apprentissage conscient de type livresque. Avant de devenir la langue de la conversation spontanée, il a sans doute été la langue de la lecture à haute voix. Depuis la Réforme, la solide tradition scolaire des cantons protestants contribue au prestige linguistique de Genève et de Neuchâtel ; l’enseignement du français aux étrangers est une activité importante. Au XIXe siècle, de nombreuses «bonnes» familles en Europe emploient des gouvernantes ou précepteurs romands. Parler français signifiait «parler comme les livres» ; dans l’histoire du français en Suisse romande, le style formel précède les usages informels de la langue. Par contre, la langue familière conserve certaines expressions régionales d’origine dialectale pour désigner des réalités quotidiennes ou des activités dont la littérature parle peu : crousille «tirelire», cocoler «choyer, dorloter, câliner, chouchouter», déguiller «tomber, chuter, débouler, dégringoler», s’encoubler «trébucher, s’accrocher les pieds dans qch.», s’étruler «s’affoler, paniquer, perdre ses moyens», pécloter «fonctionner de façon défectueuse, irrégulière (d’un mécanisme, d’une machine); être en mauvaise santé».
L’effort constant de s’approprier un modèle linguistique de prestige dont les origines se trouvent dans un ailleurs lointain explique le souci permanent des intellectuels romands de préserver sa «pureté» présumée : le «culte du bon français» a une longue tradition en Suisse romande. Depuis le XIXe siècle, la Suisse romande produit de nombreux ouvrages «cacologiques» qui combattent les régionalismes d’origine dialectale et les germanismes réels ou supposés du français régional. Une germanophobie particulièrement virulente se manifeste dans la presse romande de la première moitié du XXe siècle : le purisme romand préconise alors l’adhésion complète au modèle idéalisé du français de Paris. Ce sont en particulier les romandismes sémantiques qui ont été critiqués : gâteau «tarte», réduire «ranger», traversée «route qui traverse une localité», oser «avoir l’autorisation de», cuire «cuisiner», branche «discipline scolaire», adieu «au revoir, salut», finance «taxe», tâches «devoirs», etc. Cette politique de la langue a provoqué pendant longtemps la culpabilisation linguistique d’un grand nombre de locuteurs romands, persuadés de ne pas parler le «vrai» français, attitude que la Suisse romande partage avec de nombreuses autres régions francophones (voir question 12).
Andres Kristol, Professeur honoraire d’histoire de la langue française et de dialectologie galloromane, Université de Neuchâtel
Pour aller plus loin :
Kristol, A. (1999). Histoire linguistique de la Suisse romande: quelques jalons. Babylonia, 33(99), 8-13.
Thibault, A. (1997). Dictionnaire suisse romand. Carouge : Éditions Zoé.
Liens utiles:
- La Base de données lexicographiques panfrancophone - SuisseIllustrations sonores :
cocoler Définition du DSR tiré de la BDLP suisse
tu pouvais avoir plusieurs gâtions | _ | c'était pas très | _ | c'était pas très important c'était
s'encoubler Définition du DSR tiré de la BDLP suisse
et pis pis y a le fameux s'encoubler qui n'a pas son équivalent en français quand même < mais oui > hein si tu dois camber tu fais attention de pas t'encoubler < pas t'encoubler > que que je co/ j'ai même des connaissances françaises qui emploient s'encoubler parce que trébucher | _ | ça va pas bien
pécloter Définition du DSR tiré de la BDLP suisse
une des nouvelles fonctions qu'on a développée c'est le job coaching c'est que une fois que la personne elle est en entreprise | _ | si le besoin se fait ressentir y a même | _ | euh quelqu'un qui continue de la suivre | _ | on s'est rendu compte que souvent ça péclotait dans les premiers mois
réduire Définition du DSR tiré de la BDLP suisse
si je prenais une caisse à chaque cave ben je je pourrais pas réduire chez moi
oser Définition du DSR tiré de la BDLP suisse
est-ce que j'ose euh grignoter pendant mes paroles?
et on avait ce machin on se regardait tous genre qu'est-ce qu'il faut faire < comment on va faire | _ | ouais > est-ce qu'on ose le séparer est-ce qu'on doit mettre tout dans la bouche?
branche Définition du DSR tiré de la BDLP suisse
alors | _ | ben là les branches que j'ai c'est le français la géographie | _ | euh l'éducation physique et science des religions | _ | donc j'ai ces quatre branches
Dans son sens premier, le terme langue désigne un système de communication verbale utilisé par une communauté qui se reconnaît en lui. En principe, chaque langue se distingue nettement des systèmes de communication de même nature employés par d’autres communautés rendant l’intercompréhension difficile voire impossible. Sur la base de cette définition et d’un point de vue strictement linguistique, toutes les langues ont donc les mêmes qualités constitutives et se trouvent sur un pied d’égalité.
Cependant, choisir un mot pour qualifier une langue n’est jamais un acte neutre, même si ce choix ne se fait pas toujours consciemment. L’utilisation de langue et d’autres appellations qui désignent ce même objet comme dialecte ou patois, induit des enjeux liés à son statut, des prises de position et se voit investie de représentations linguistiques.
Cet acte de nomination catégorise, il révèle les hiérarchisations qui se sont établies entre les langues ainsi que les constructions sociales qui en découlent. En effet, en raison de facteurs qui n’ont rien de linguistique mais relèvent de l’historique, du politique et du social, des distinctions se sont opérées entre les langues au cours de l’histoire. Certaines ont acquis un pouvoir, un prestige et une reconnaissance importants alors que d’autres n’ont pas connu le même sort et sont par conséquent considérées comme ayant moins de légitimité. Dans ce contexte, sont appelées langues des systèmes de communication qui peuvent être utilisés dans un espace géographique plus vaste que d’autres, compter plus de locuteurs, avoir développé une tradition écrite voire une littérature ou avoir obtenu une reconnaissance officielle. C’est par exemple le cas du français, de l’italien ou de l’allemand. Les langues ne répondant pas aux mêmes critères, comme le francoprovençal, sont pour leur part nommées dialecte ou patois. Tous ces termes ne peuvent cependant pas être considérés comme des synonymes, ils véhiculent des valeurs différentes.
Dialecte est un terme linguistique utilisé surtout par les scientifiques. Il permet de désigner, sans connotation négative, un sous-ensemble d’une langue géographiquement bien délimité et qui présente des variations notables. Les dialectes d’une même langue partagent cependant un ensemble de propriétés linguistiques communes et une base de ressemblance suffisamment fortes pour garantir l’unité de la langue qui les rassemble. En Suisse romande, on rencontre aujourd’hui encore des locutrices et des locuteurs des dialectes francoprovençaux et franc-comtois . Ces parlers sont des formes régionales des langues francoprovençale et oïlique qui, elles, s’étendent sur des zones géographiques plus larges et qui sont composées d’un ensemble de dialectes distincts, parfois nombreux.
Pour désigner les dialectes, le mot le plus usuel est patois. Loin d’être neutre, il est chargé idéologiquement et véhicule, en France comme en Suisse romande, une forte connotation négative. Le terme porte en effet en lui au mieux l’idée que les langues qu’il caractérise ont un statut inférieur à la langue officielle, en l’occurrence le français, voire que ces langues ne constituent pas des systèmes linguistiques complets ou sont du mauvais français quand elles ne sont pas jugées méprisables, rustiques, grossières, etc. Ces idéologies sont en grande partie héritées des politiques linguistiques mises en œuvre en France depuis le XVIIe siècle et intensifiées après la Révolution de 1789 en vue d’imposer le français comme langue unique. Elles se sont également, mais dans une moindre mesure, diffusées en Suisse romande.
Dorothée Aquino, adjointe à la direction du Glossaire des patois de la Suisse romande, Université de Neuchâtel
Pour aller plus loin :
Boyer, Henri (2013), « "Patois" le déni français de glossonymie », in : Kremnitz, Georg (dir.), Histoire sociale des langues de France. Rennes: Presses universitaires de Rennes, p. 169-177.
Kristol, Andres (à par.), « Langue – dialecte – patois », in : id., Histoire linguistique de la Suisse romande. Neuchâtel: Alphil.
Moreau, Marie-Louise (1997), « Dialecte », in : id., Sociolinguistique. Concepts de base, Lyon: Mardage, p. 120-124.
Tabouret-Keller, Andrée (1997), « Les enjeux de la nomination des langues. Présentation », in : id. (éd.), Le nom des langues I. Les enjeux de la nomination des langues. Louvain: Peeters, p. 5-20.
Illustrations sonores :
Différences entre patois, dialecte et langue
et puis dans les régions li/ euh de France voisine euh comme la Haute-Savoie on a ont aussi le | _ | le la même langue euh | _ | de référence qui s'appelle le francoprovençal | _ | ou arpitan on l'appelle aussi l'arpitan | _ | donc le patois vaudois est un dialecte comme je l'ai dit de | _ | euh ce francoprovençal
le patois vaudois ou et le francoprovençal de manière générale était vraiment une langue distincte du français donc de la langue d'oïl
par exemple en Suisse romande on va dire euh huitante on va dire euh adieu pour saluer | _ | euh qu'est-ce qu'on va dire on va dire je mets de la benzine dans mon auto plutôt que de l'essence | _ | ça c'est des régionalismes le patois c'est vraiment une langue entière qui était utilisée | _ | il faut distinguer les régionalismes quelques mots qui ont survécu | _ | dans le français régional d'aujourd'hui | _ | du patois qui était une langue à part entière
Témoignages sur le patois
L1 : le et oui entre eux ils parlaient toujours patois mon mes parents | _ | mais avec nous ils parlaient toujours français
L2 : d’accord| _ | donc c’était une langue euh | _ | familiale amicale mais pas administrative pas
L1 :non pas administrative du tout | _ | on pouvait pas aller à l'école si on savait que le patois | _ | on devait a/ s/ | _ | c'est pour ça que nos parents ils nous ont jamais parlé en patois | _ | pour que quand on aille à l'école on soit capable de parler français
L1 : et c’était très différent entre les villages | _ | ou entre les vallées ?
L2 : ah chaque euh vallée elle a son patois | _ | c'est ils ont personne le même patois mais c'est assez près | _ | ça se rapproche
L1 : mmh toi tu pourrais comprendre par exemple le patois de la vallée d’en face ?
L2 : oui [ouais]| _ | oui oui |
Représentations sur le patois, le dialecte et la langue
alors moi je crois que de manière générale c'est | _ | c'est une richesse de de la diversité je pense que plus y a de de patois | de langues de manière générale de dialectes | _ | plus on a une vision | % | des visions du monde euh larges | _ | euh moi je pense que | _ | s'intéresser à un patois ou ou à une langue étrangère ça peut être euh s'intéresser je sais pas moi au | _ | à l'espagnol au chinois à l'arabe c'est | _ | c'est ouvrir son horizon et puis | _ | peut-être refuser un une certaine pensée aujourd'hui qui considère que | _ | apprendre l'anglais suffirait à à saisir toute la finesse du monde
L1 : je trouve ridicule de d'avoir un patois [ah oui ?] on a une belle langue le le français est une belle langue | _ | essayons de de l'u/ de l'utiliser correctement
L2 : comment vous voulez dire correctement ?
L1 : ben de de | _ | ouais de bien parler de de | _ | de prononcer les mots | _ | complets de | _ | % | ne pas tricher
L1 : selon toi les # peuvent-ils être euh fiers de leur manière de parler ?
L2 : ben moi je s/ moi je suis en tout cas anti patois hein | _ | je pr/ | _ | je trouve que se réfugier dans des des dans les vieux langages euh c'est | _ | c'est c'est un peu stupide [d’accord] c'est un peu stupide ça sert à rien c'est | _ | c'est pas de la c'est pas c'est pas de la tradition c'est plutôt de | _ | je dirais plu/ c'est plutôt de | _ | pas du racisme mais du | _ | du
L1 : sorte de nationalisme %%?
L2 : pour pour pour rester ent/ entre soi je sais pas comment on dit ça du
L1 : ouais une sorte de langage de groupe ou quelque chose comme ça [de fonction identitaire
L2 : ouais de de de de de f/ de f/ de fermeture ouais] fonction identitaire fermeture par rapport aux autres aux [d’accord] et ça et ça dégénère vite t'as vite tendance à | _ | à à être moqueur
En Suisse, le mot dialecte revêt un sens particulier. Employé « tout court » dans la langue commune, il ne désigne souvent pas n’importe quel dialecte, mais le dialecte suisse alémanique, ou schwyzerdütsch (attesté avec plusieurs variantes graphiques). Ce sens est emprunté au terme alémanique Dialekt (n.m.). Par ailleurs, en Alsace et Lorraine le terme dialecte désigne également les parlers germaniques locaux.
En Suisse romande, le terme s’oppose à l’expression bon allemand ou Hochdeutsch (litt. «haut allemand») ou encore Schriftdeutsch (litt. «allemand écrit»), désignant l’allemand standard, mais aussi à la notion de patois renvoyant aux parlers galloromans des régions romandes.
Ce texte est adapté des articles dialecte, hochdeutsch, bon allemand et schwyzerdütsch du Dictionnaire suisse romand (référence ci-dessous)
Laure Anne Johnsen, professeure titulaire, ILCF, Université de Neuchâtel
Pour aller plus loin :
Thibault, A. (1997). Dictionnaire suisse romand. Carouge : Éditions Zoé.
Liens utiles:
- La Base de données lexicographiques panfrancophone - SuisseIllustrations sonores :
dialecte Définition du DSR tiré de la BDLP suisse
L1: ouais et comme ici l'allemand | _ | suivant les régions avec le dialecte tu as beaucoup de peine à comprendre c'est c'est | _ |
L2: ben ouais
et maman elle parlait déjà euh | _ | l'allemand parce qu'elle avait travaillé à | _ | # | _ | alors voilà | _ | % | c'était un dialecte c'était pas le vrai allemand | hein
L1: donc euh de dix de ses | dix ans à ses vingt ans elle a fait sa sa scolarité en suisse allemande et tout [ouais] | _ | m/ donc elle parlait le berndütsch [ouais] mais les zurichois elle disait qu'elle les | _ | comprenait pas du tout hein | _ |
L2: mais oui je crois bien | _ | je crois bien | _ | oui ils ont l'espèce de dialecte ce même | _ | si tu vas euh pour manger tu vois une un un panneau [ouais ouais ouais] tu as beaucoup de peine à traduire ce que c'est | _ |
L1: à lire ce que s/ ce qui est écrit ouais c'est juste
shwyzerdütsch Définition du DSR tiré de la BDLP suisse
je parlais mieux le schwyzerdütsch que que l'allemand parce que ma grand-mère était suisse-allemande
bon allemand Définition du DSR tiré de la BDLP suisse
[à propos de Fribourg] c'est moins bilingue mais y a quand même une | proportion assez importante de de germanophones | _ | donc euh | _ | c'est toujours euh c'est toujours pratique de pouvoir euh | _ | parler allemand | _ | après | _ | y a le désavantage que parfois c'est souvent | _ | ben les vieilles personnes qui s/ qui | qui habitent dans des endroits peut-être un peu | _ | plus reculés et puis euh ben | _ | moi j/ je maîtrise bien le bon allemand | mais le suisse allemand c'est encore euh | _ | encore autre chose surtout si ils ont | des accents assez assez prononcés | _ | mais ils sont | _ | ils sont sympa ils essaient | _ | quand ils voient que tu fais l'effort de | parler en dans leur langue ils essaient aussi de | _ | % | de parler en bon allemand
hochdeutsch Définition du DSR tiré de la BDLP suisse
une fois j'ai reçu | _ | un Suisse allemand qui venait de | _ | de la région du lac de Constance | _ | # | exactement | _ | qui ne savait pas un mot de français | _ | et moi je pouvais dire que je ne savais pas l'allemand | _ | et je j'ai dit ben un des deux doit | _ | parler la langue de l'autre | _ | c'est moi qui essaierai qu/ | _ | parler l'allemand | _ | j/ comme ça j'apprendrai l'allemand | _ | alors il i/ il me parlait en bon allemand | _ | hochdeutsch | _ | et les collègues | _ | du bureau quand ils ne/ ils entendaient ils faisaient | _ | redet Hochdütsch | _ | ça c'était amusant | _ | [les Suisses allemands n'aimaient pas trop le] n'aiment pas qu'on parle le bon allemand non
L1: tu vois des différences si c'est un Zurichois ou un Bernois
L2: pas du tout | _ | non alors pas du tout même au niveau de l/ du suisse allemand euh pour le peu vraiment que je peux comprendre | _ | euh | _ | on pourrait la seule différen/ enfin le la seule chose que je pourrais à la limite remarquer | _ | c'est si euh c'est des gens qui ont peut-être l'habitude de parler | _ | l'allemand le Hochdeutsch parce que on remarque un peu plus les gens | _ | qui sont plus | _ | plus proches justement de cette | _ | à la limite de la langue allemande | _ | que du suisse allemand pur et dur le suisse allemand pur et dur c'est je comprends rien du tout c'est comme le tessinois et l'italien c'est vraiment | _ | deux langues différentes
L1: d'accord donc là vous | _ | pour le travail vous parlez euh vraiment qu/ vous avez l'habitude de parler
L2: les deux | _ |[ouais] et i/ le l'anglais sco/ euh le l'anglais | _ | l'allemand scolaire revient quand même euh | à la surface assez facilement quand même [mh ouais] | _ | mais alors par contre le suisse allemand est bien compris mais en parlant automatiquement je [mh]| _ | je m'approche plus du | _ | du Hochdeutsch | _ |[ouais] plus que que du suisse allemand
Comme c’est souvent le cas, il y a plusieurs façons de délimiter le concept d’«helvétisme», et différentes manières de l’envisager. Réglons d’abord la question la plus simple, celle des niveaux d’analyse : lorsqu’on parle d’helvétismes, en linguistique, on peut se référer autant à des prononciations (agenda prononcé «ajanda» alors que les autres francophones disent «ajinda») qu’à des tournures syntaxiques (ils s’invitent parmi «ils s’invitent les uns les autres» ; j’ai personne vu «je n’ai vu personne»), des caractéristiques morphologiques (comme le passé surcomposé : tu es déjà eu allé ? avec le sens de «t’est-il déjà arrivé d’y aller ?») ou des mots (s’encoubler, septante, pive), voire des locutions entières (être déçu en bien, ne pas se prendre pour la queue de la poire…).
Il est plus difficile, en revanche, de bien délimiter l’ensemble des mots qui peuvent recevoir l’étiquette d’«helvétisme». Commençons d’abord par replacer ce concept dans un contexte plus large, celui de la linguistique variationnelle. Les langues du monde ne sont pas monolithiques : au-delà du socle commun qui est bien évidemment nécessaire à l’intercompréhension, les langues connaissent également de nombreux traits dont l’extension dans l’usage connaît certaines restrictions. En effet, pour que les langues soient efficaces dans toutes les sphères de la vie humaine, elles ont parfois besoin de mots qui ne sont connus que dans certains milieux. C’est, à vrai dire, une condition de leur bon fonctionnement. On dira donc que certains traits linguistiques connaissent des restrictions dans leur usage. Ces restrictions peuvent être de différentes natures: certains ne sont connus que des plus jeunes, d’autres que des plus vieux : on parle de variation «diagénérationnelle». Certains sont l’apanage des classes supérieures alors que d’autres se réfugient dans l’usage des classes défavorisées : on parle de variation «diastratique». Certains ne s’actualisent que dans certaines situations bien précises, comme dans un milieu socioprofessionnel donné : on parle de variation diaphasique ou diasituationnelle. Certains encore sont très rares à l’oral et relèvent essentiellement de la langue écrite, ou vice versa: on parle de variation diamésique. Enfin, et c’est ce qui nous intéresse ici, il y a des traits qui ne couvrent pas la totalité du territoire occupé par une langue donnée: on parle alors de variation diatopique. Techniquement, les traits qui connaissent une restriction d’emploi sur l’axe diatopique sont appelés «diatopismes» (ou, plus simplement, «régionalismes»).
Il s’agit toutefois bien sûr d’un terme générique qui peut renvoyer à des traits dont l’extension géographique varie énormément d’un cas à l’autre. Parmi tous les diatopismes, certains reçoivent parfois une étiquette ayant pour but d’apporter plus de précision à leur délimitation. Le problème, c’est que les étiquettes ne coïncident que bien peu souvent avec l’étendue géographique réelle des phénomènes que l’on veut ainsi désigner. J’en arrive donc enfin au concept d’«helvétisme». On pourrait, un peu paresseusement, se contenter de dire que ce terme désigne un trait linguistique propre au français de Suisse, ou de Suisse romande (c’est ce que l’on trouve dans tous les dictionnaires). Le problème, c’est qu’il n’y a que très peu de traits dont l’étendue coïncide parfaitement avec les frontières nationales (cf. question 7 sur les «statalismes»). Il faut bien avouer que, dans la plupart des cas, l’aire d’un soi-disant «helvétisme» peut n’être en fait que :
- très locale (gurler «trembler de froid» dans certaines localités du canton de Fribourg) ;
- cantonale (l’usage particulier de outre en Valais) ;
- à cheval sur plusieurs cantons (huitante, VD-VS-FR) ;
- à cheval sur un canton et la France voisine (panosse «serpillière», qui est vosgien, jurassien, franc-comtois et savoyard) ;
- à cheval sur la totalité des cantons romands et la France voisine (bardjaquer, connu dans tout le grand quart sud-est de la France) ;
- ou alors concerner des aires qui, à l’échelle de la francophonie, peuvent être très éloignées les unes des autres (foutimasser «perdre son temps à des futilités» est romand mais survit aussi en Normandie) et aller jusqu’à traverser l’Atlantique et inclure le Canada (faire cru «faire froid et humide» est une locution verbale suisse, belge et canadienne). La cuisinette «kitchenette» est aussi canadienne, et les cuissettes «shorts de sport» sont non seulement romandes mais en outre… algériennes !
Finalement, on voit que la définition de départ, largement relayée par la lexicographie générale, pêche par son imprécision ; au regard de tous ces exemples, il faudrait en fait dire qu’ un helvétisme est un trait linguistique (phonétique, morphologique, syntaxique ou lexical) dont l’extension géographique ne correspond pas à toute la francophonie mais englobe (entre autres) la Suisse romande, dans sa totalité ou seulement en partie. Cela veut donc dire, comme nous venons de le voir, que certains «helvétismes» peuvent être inconnus dans plusieurs cantons, que d’autres sont très bien connus en France voisine, et que certains sont aussi, en même temps, des belgicismes, des canadianismes, des algérianismes, etc. C’est donc plutôt par commodité que l’on emploie ce terme, qui dans les faits correspond à des diatopismes dont l’aire est à géométrie éminemment variable. Concrètement, cela veut dire aussi qu’un ouvrage comme le Dictionnaire suisse romand réunit des mots qui ont tous en commun d’être utilisés en Suisse romande, partout ou seulement dans un/des sous-ensemble(s) de son territoire, tout en ne faisant pas partie du français commun à toute la francophonie mais pouvant être connus ailleurs qu’en Suisse. Le critère qui justifie la pertinence du concept, finalement, est l’existence de la Suisse romande comme entité politiquement indépendante de la France et, par conséquent, comme véhicule d’une identité nationale clairement établie. Si les hasards de l’histoire avaient voulu que la Suisse romande ne soit qu’un sous-ensemble d’un pays indépendant de la France qui s’appellerait, par exemple, la Savoie, il y a fort à parier que le terme d’«helvétisme» ne correspondrait à aucun besoin dénominatif précis.
André Thibault, Professeur de linguistique française, Sorbonne Université
Pour aller plus loin :
Thibault, André (1997). « Présentation », in Dictionnaire suisse romand, Genève: Zoé, 17-32.
Liens utiles:
- La Base de données lexicographiques panfrancophone - SuisseIllustrations sonores :
le passé surcomposé
alors j'ai eu joué tout seul on on a eu été deux accordéonistes | deux clarinettes une contrebasse | _ | on faisait un un petit orchestre
c'était vraiment vraiment sympa on a fait des sacrées | _ | des sacrées sorties | _ | des des beaux voyages également | _ | % | _ | on est eu parti euh en Répub/ République dominicaine
s'encoubler Définition du DSR tiré de la BDLP suisse
et pis pis y a le fameux s'encoubler qui n'a pas son équivalent en français quand même < mais oui > hein si tu dois camber tu fais attention de pas t'encoubler < pas t'encoubler > que que je co/ j'ai même des connaissances françaises qui emploient s'encoubler parce que trébucher | _ | ça va pas bien
septante Définition du DSR tiré de la BDLP suisse
huitante Définition du DSR tiré de la BDLP suisse
et ça aussi c'est assez impressionnant ça veut dire que on va avoir cinquante soixante septante huitante vendangeurs
donc euh on est nous on est particulièrement fans de ces | _ | des groupes des années septante huitante donc euh groupes de rock groupes euh
et pis après ben | _ | on a fait la villa en huitante-deux | _ | pis après ben on a eu les enfants
pive Définition du DSR tiré de la BDLP suisse
mais on allait dans la forêt | et pis on faisait des réserves de pives derrière les arbres | _ | on faisait des batailles de pives [ouais ouais]
déçu en bien Définition du DSR tiré de la BDLP suisse
si vous n'êtes jamais allés à Chicago allez-y c'est une ville magnifique [ah ouais] euh j'ai été comme diraient les vaudois déçu en bien | _ | parce que | _ | c'était extra c'est une ville euh
panosse Définition du DSR tiré de la BDLP suisse
parce que encore une fois d'une famille à l'autre on dira | _ | certains diront la panosse d'autres diront la panoche | _ | hein moi je dis la panoche
outre ("plus loin, là-bas (sans changement d'altitude)" emploi spécifique dans le canton du Valais) article du Blog Français de nos régions
Le français est arrivé en Suisse romande par l’écrit. Dès le XIIIe siècle, il commence lentement à se substituer au latin (plus vite à Genève qu’à Sion), engendrant une situation de diglossie qui a perduré plusieurs siècles, c’est-à-dire qu’on parle patois, mais si on apprend à lire et écrire, on le fait en français, ce qui contribue à diffuser cette langue. Ce n’est qu’à la fin du XIXe siècle que les locuteurices constatent que les patois vont disparaitre sous la pression du français, qui est devenu, au cours de ce processus séculaire, la langue vernaculaire, autrement dit la langue locale qui est parlée par tous et toutes (cf. question 2).
Le français de Suisse romande peut être caractérisé globalement par trois ensembles d’éléments linguistiques: le substrat dialectal (les «restes» des patois) qui continue d’influencer le lexique, la morphosyntaxe et la prononciation, bien que les patois ne soient plus parlés au quotidien depuis 150 ans au moins (cf. 6.1, 6.2 et 6.3); l’adstrat germanique, c’est-à-dire l’apport des langues germaniques qui côtoient les langues romanes le long de la frontière linguistique qui traverse la Suisse du Jura aux Alpes, et qui engendre les phénomènes bien connus du contact des langues et finalement la situation périphérique de l’espace romand par rapport au centre de diffusion du français, situation qui favorise la rétention de termes et d’expressions anciennes.
Cependant, le français qu’on peut entendre en Suisse romande n’est pas du tout homogène. Il contient des mots qui ne sont pas connus dans toutes les régions ou, au contraire, qui sont connus ailleurs, dans les régions limitrophes, voire plus loin (cf. questions 1 et 5). Quelques exemples de ce phénomène: huitante s’entend régulièrement dans le canton de Vaud, mais pas (ou guère) à Neuchâtel. Le terme modzon («génisse») est courant dans le canton de Fribourg et dans le Pays d’Enhaut, mais inusité dans le Jura. Une tête de boc est une personne têtue à Neuchâtel et dans le Jura, mais l’expression n’est pas connue ailleurs (boc est une variante de bouc, «mâle de la chèvre»). A contrario, j’ai meilleur temps («avoir intérêt à faire une chose plutôt qu’une autre») s’entend aussi en Franche-Comté et en Savoie, sans parler de septante et nonante, qui est la façon régulière de compter en Belgique.
Les particularités linguistiques du français de Suisse romande (mais ne faudrait-il pas dire des français de Suisse romande !) s’expliquent donc par l’espace et par l’histoire. Le relatif éloignement de la Suisse romande du centre de diffusion du français, la région parisienne, fait qu’on y entend des expressions qui faisaient partie du français central il y a un ou quelques siècles et qui se maintiennent sur les bords et les régions frontalières de la France. Par exemple, avoir meilleur temps de ; livrets («table de multiplication»); les carrousels («manège de fête foraine», abrégé en carrou: «Les "carrous" sont là, sans la neige» (titre, presse régionale, 2014, qui contient par ailleurs un implicite culturel: à la Chaux-de-Fonds, ville située à 1000 mètres d’altitude, les carrousels s’installent chaque année pendant les vacances de Pâques et, traditionnellement, il neige).
La deuxième caractéristique mentionnée plus haut tient au fait que la frontière linguistique européenne entre les langues romanes et germaniques traverse la Suisse du nord au sud. Les contacts de population au sein du pays favorisent les emprunts au suisse allemand et à l’allemand (cf. question 9). Les Neinsager («celles et ceux qui disent toujours non»), la Suisse comme Sonderfall («un cas à part») le Röstigraben entre la Suisse alémanique et la Suisse romande (littéralement le «fossé de rösti», traduit en français par barrière de rösti, barriera dei rösti en italien) ou même le récent Putzday/poutzday («action citoyenne de nettoyage», all. putzen, «nettoyer», cf. aussi Putzfrau «femme de ménage» ou Putzmann ), témoignent des contacts entre locuteurices germanophones et francophones.
En dehors des phénomènes de substrat, d’adstrat et de périphérie, deux autres facteurs peuvent être invoqués pour caractériser brièvement le français de Suisse romande: l’organisation politique propre à la Suisse et les innovations linguistiques proprement romandes (cf. § 6.1 pour des exemples de ces faits linguistiques).
Marinette Matthey, LIDILEM, Université Grenoble Alpes
Pour aller plus loin :
Matthey, M. (2003). «Le français langue de contacts en Suisse romande». GLOTTOPOL, revue de sociolinguistique en ligne. No 2, juillet 2003, 91-100. www.univ-rouen.fr/dyalang/glottopol/
De Pietro, J.-Fr., Diemoz, F. & Matthey, M. (2016). «La variation du/des français en Suisse romande : enjeux et défis de sa présence à l'école». Dans Cl. Fréchet (textes réunis par) La variation du français dans le monde. Quelle place dans l’enseignement ? (pp 43-63). Limoges: Lambert-Lucas.
Knecht, Pierre (1982). La Suisse aux quatre langues. Editions Zoé.
Les particularités lexicales du français peuvent être réparties en cinq catégories.
La première est celle des dialectalismes, emprunts aux patois (ou substrat dialectal). S’encoubler («trébuche »); chneuquer («chercher, fouiller»); pive («cône de sapin»); duvet («couette») ; fourre («housse de couette»); être cougné («être serré, pressé dans une foule»); mailler («tordre») ont été empruntés aux patois et se sont maintenus dans le français vernaculaire. Beaucoup de ces termes sont sortis du répertoire langagier des générations actuelles mais sont attestés dans divers glossaires et surtout dans le Dictionnaire du parler neuchâtelois et suisse romand de William Pierrehumbert (1926). Tauquer («s’endormir»); tiesser («céder sous le poids»); ouxer («inciter un chien à mordre»); se mettre à la chote («à l’abri»); être dans les nioles («les nuages») sont dans ce cas.
La deuxième catégorie est celle des statalismes, dans le sens restreint de lexique qui renvoie à l’organisation politique et administrative de la Suisse: district («subdivision administrative»); dicastère («subdivision d’une administration»); Grand conseil («législatif cantonal»); numéro postal («code postal»), président·e de commune («maire»); école de recrue («formation militaire»); acte d’origine («certificat de naissance»); bourgeoisie («nationalité communale»); votation («élection ou consultation populaire»); viennent-ensuite («candidat·es non élu·es», qui remplaceront les député·es démissionnaires durant la législature: «Comment les viennent-ensuite vivent-ils leur entrée au Parlement?», RTS, 2017) sont des statalismes au sens étroit défini ci-dessus (pour une vision plus large des statalismes, cf. question 10).
La troisième catégorie est celle des emprunts à l’allemand ou au suisse-allemand (adstrat germanique) (cf. question 9): poutser (putzen, «nettoyer»); schlaguer (schlagen, «frapper, taper»); un chablon (Schablone, «pochoir, emporte-pièce») sont des germanismes anciens. Schubladiser est plus récent et provient de l’allemand Schublade («tiroir»), via le verbe schubladisieren («mettre un dossier au fond d’un tiroir pour ne pas devoir s’en occuper»). On peut parler ici de «français fédéral» dans la mesure où cette expression a dû apparaitre dans les réseaux de fonctionnaires de la Confédération (cf. question 11). On peut ajouter dans cette catégorie les expressions calquées de l’allemand comme peindre le diable sur la muraille (den Teufel an die Wand malen: «voir les choses en noir») ou se tenir les pouces (Jemandem die Daumen halten: «je te tiens les pouces !», «je te souhaite bonne chance»).
La quatrième catégorie est celle des archaïsmes qui caractérisent la situation périphérique de la Suisse romande (cf. 6.): costume de bain («maillot de bain»); camisole («sous-vêtement»); déjeuner, diner, souper («petit-déjeuner, déjeuner, diner»); doubler («recommencer une même année scolaire»); grand-maman, grand-papa («mami, papi»); préopinant·e («celui ou celle qui a parlé avant», très courant dans le discours des politiques lors d’un débat).
La dernière catégorie est celle des innovations lexicales propres à la Suisse romande : gâteau aux pommes («tarte aux pommes»); poudre à lever («levure chimique»); course d’école («excursion scolaire»); imperdable («épingle de nourrice»); locatif («un immeuble avec des logements à louer»); cuisine habitable («assez grande pour pouvoir y manger»); petits fruits («baies comestibles, par exemple myrtille, framboise, mure»...); potager à bois («cuisinière»); prétériter («léser, porter préjudice», terme qui s’est diffusé au XIXe siècle, à partir de la langue des notaires) sont des expressions nées en Suisse romande.
Marinette Matthey, LIDILEM, Université Grenoble Alpes
Les Français repèrent les Suisses à leur accent (en assimilant souvent locuteurs belges et suisses), mais les Suisses romands se reconnaissent entre eux à la variété de leur accent (valaisan, vaudois, genevois, voire à l'intérieur des cantons, cf. question 7...). Il est dès lors impossible de faire des généralités sur la prononciation. Remarquons que la distinction [ɛ̃]/[œ̃] (brin /brun ) persiste, comme dans le sud de la France, alors qu’elle disparait du français central. Dans les cantons de Vaud et de Neuchâtel, les o ou ot en finale (vélo, météo , pot, ragot...) se prononcent [ɔ] et non [o] (la peau [po], mais le pot [pɔ]). Des locuteurices distinguent un i bref d’un i long pour noter les différences entre le masculin et le féminin: un ami [ami], une amie [amiː] et on fait généralement la différence entre [e] et [ɛ] pour identifier le futur et le conditionnel (dirai /dirais ), distinction qui est abandonnée en français central. La distinction [e] et [ɛ] se retrouve aussi dans les voyelles finales: plutôt [e] en Valais (le [le], le lait ), plutôt [ɛ] ailleurs (le [lɛ] ). Dans certaines régions des Alpes et des Préalpes vaudoises et valaisannes, le t devant un yod ([j]) a tendance à s’affriquer: [dʑabl] diable; [kaʁtɕ] quartier . Et on retrouve dans le toponyme La Tchaux («La Chaux-de-Fonds») une affrication du [t] qui indique son origine dialectale. Dans le canton de Vaud, les finales en -ée des déverbaux comme craquée, tombée, éreintée, étouffée, gueulée (cf. § 6.3) ont tendance à s’allonger et à se terminer par un yod: [kʁakeːj], [tɔ̃beːj], [eʁɛ̃teːj]. Les habitant·es du canton de Neuchâtel et du Jura bernois sont reconnaissables (et caricaturé·es) pour leur prononciation de [ʁ] qui tend vers [χ] . Le schwa (e caduc) est facilement omis dans ces mêmes régions : [pɔdlɛ] (pot de lait); [ʒnis] (génisse) et une suite de trois consonnes n’est pas impossible: [iχplœ] (il repleut); [ʁkχɑχ] (recroire); [ʁvniʁ] (revenir ); [œ̃χpla] (un replat est un terrain plat situé dans une pente).
Par ailleurs, les aspects prosodiques tels que l’allongement ou l’accentuation de syllabes, ou encore des contours intonatifs avec des variations de hauteur marquées ou un accent sur l’avant dernière syllabe d’un énoncé pourraient être, par contraste avec le français de référence, à l’origine du stéréotype de l’accent suisse.
Marinette Matthey, LIDILEM, Université Grenoble Alpes
Les particularités morphosyntaxiques sont plus discrètes, moins immédiatement saisissables que les différences de lexique, mais les grands corpus comme OFROM devraient contribuer à mieux la faire connaitre. On relèvera, en vrac, la conversion verbale d’agenda : agender une réunion («fixer une réunion»), dérivation qui n’a pas eu lieu en français central; l’apparition d’un déterminant dans un café/un plat à l’emporter qui semble manifester une transformation inverse de verbe en nom (« café à emporter » en français de référence). On rencontre aussi certaines formes verbales comme ils croivent ou ils croyent ([kʁwaj] , mais cette variation n’est pas propre à la Suisse romande. Une expression comme ça veut déjà aller manifeste deux particularités: l’emploi du verbe vouloir à la place du verbe aller pour exprimer le futur proche (pas propre à la Suisse romande) et déjà, calque de l’allemand schon, comme modalisateur du futur, paraphrasable par « certainement ». La place et l’ordre de certains pronoms ne sont pas les mêmes qu’en français de référence: j’ai personne vu peut encore s’entendre chez certaines personnes âgées, de même que, dans le canton de Vaud, tu ça congèles; tu ça mets dedans (influence de la syntaxe dialectale). La construction du verbe aider est parfois indirecte : on aide à nos parents; on leur aide . Souvent considérée comme un germanisme, cette construction est cependant bien attestée en français, on la trouve chez Corneille («et je ne vois que vous qui le puisse arrêter, pour aider à mon frère à vous persécuter», Nicomède; chez Gide («c’est pour de telles créatures, pour leur aider à supporter la souffrance , à supporter la vie que sont faits les chapelets, les prières», Journal ; chez Claudel («Il lui aide à se vêtir», Ville, première version) (Grevisse 1993: §279), etc.
Le passé surcomposé est encore assez vivant en Suisse romande à l’oral, mais à nouveau, la forme n’est pas propre à cette région et on la trouve chez de nombreux écrivains (dont Flaubert et Zola). Comme ce temps qui marque l’accompli au passé n’est pas retenu par les tableaux de conjugaison diffusés par l’école, des énoncés comme on a eu été au courant, mais plus maintenant ou elle est eu venue mais elle ne vient plus ont été condamnés par les puristes.
Le fait morphosyntaxique peut être le plus remarquable en Suisse romande et l’importante productivité du suffixe dérivatif -ée, avec le sens de «grande quantité de», qui assure une belle vitalité aux déverbaux tels que craquée; pétée ; peufnée; chiée . Ils prennent place dans des déterminants complexes tels que: une craquée de gens; une pétée de pommes; une peufnée de chanterelles; une chiée de fautes , etc. Une roillée est une averse drue, une engueulée laisse entendre que l’altercation a duré un certain temps, une schlaguée est une volée de coups, une éreintée, une très grande fatigue (qui peut être due à l’ivresse — dans ce domaine, les termes sont très nombreux: schmolée (vieilli); camphrée; maillée; biturée; muflée; assommée, etc.).
Marinette Matthey, LIDILEM, Université Grenoble Alpes
Au même titre que celui que l’on parle à l’intérieur des autres grandes régions de la francophonie (France, Wallonie, Petites Antilles, Québec, etc.), le français n’a ni les mêmes teintes ni les mêmes sonorités d’un bout à l’autre de la partie romande de la Confédération. En d’autres termes, il faut comprendre que de Delémont à Sierre et de Fribourg à Genève, en passant par Neuchâtel et Lausanne, si les Romands parlent tous français, ce n’est pas forcément toujours avec le même «accent» . Par «accent», il faut entendre l’ensemble des traits phoniques, c’est-à-dire propres à la voix, qui contribuent à la spécificité d’une façon de parler de locuteurs d’un espace géographique défini par rapport à un autre.. Que ce soit dans la communauté des sujets parlants ou des universitaires, il y a accord pour dire qu’en Suisse romande, il existe deux grandes catégories géographiques d’accents, et que ces deux catégories sont relatives au degré de granularité que l’on adopte.
À un premier niveau, les Romands distinguent les accents de leurs compatriotes en fonction des cantons où ces derniers ont passé la plus grande partie de leur vie. Ils opposent ainsi l’accent genevois à l’accent fribourgeois ou à l’accent valaisan, qui se différencient tous les uns des autres mais aussi de l’accent vaudois, de l’accent neuchâtelois et de l’accent jurassien. À un second niveau, bon nombre de Romands affirment être capables, en se basant sur la façon dont leurs voisins parlent uniquement, de faire la part entre les locuteurs originaires de différents «coins» à l’intérieur d’un même canton. Dans le canton de Genève, on met ainsi en opposition l’accent de Genève-ville et celui de Genève-campagne; dans le canton de Neuchâtel, le «Haut» (Chaux-de-Fonds) s’oppose au «Bas» (ville de Neuchâtel et localités environnantes du littoral) ; dans le canton de Fribourg les francophones de région de la Gruyère sont réputés pour ne pas avoir le même accent que ceux de la ville de Fribourg, etc. Dans la même veine, certaines régions, pour des raisons qui divergent, se détachent parce qu’elles présentent, dans l’imaginaire populaire, des façons de parler qui leur sont propres (on pense au Gros-de-Vaud dans le canton de Vaud ou à la Broye dans la région arrosée par la rivière du même nom). En Valais certains estiment être capables d’établir des distinctions encore plus fines, p. ex. de discriminer des locuteurs francophones originaires de villages de montagne éloignés de quelques kilomètres les uns des autres.
Sur le plan scientifique, des études récentes ont montré qu’à l’écoute d’extraits dépourvus de mots régionaux, les Romands étaient capables de distinguer avec une assez bonne précision, quatre grands types d’accents: l’accent genevois, l’accent vaudois, l’accent des locuteurs des cantons du Valais et de Fribourg, et l’accent des habitants de l’Arc jurassien (cantons de Neuchâtel, du Jura et de Berne). À l’intérieur de ces grandes zones, les performances des Romands sont beaucoup plus variables.
Mathieu Avanzi, maître de conférences en linguistique française, Sorbonne Université
Pour aller plus loin :
Avanzi, M., Boula de Mareüil, Ph. (2018). «Peut-on identifier perceptivement huit accents régionaux en français? La réponse des sciences participatives», Glottopol, 31, pp. 1-21.
Avanzi, M. (à par.). «L’identification géographique des accents des Romands», in Aquino-Weber, D., Cotelli-Kureth, S., Kristol, S. & Reusser-Elzingre, A. (éds). Volume d’hommage en l’honneur de la Prof. F. Diémoz.
Illustrations sonores et géographiques :
Bienne, canton de Berne
alors j'engageais soit des | _ | des mécaniciens ou des dessinateurs | _ | souvent au au bout d'une semaine ou deux semaines je devais les renvoyer parce que | _ | ils étaient pas capables de faire les calculs qu/ que je leur demandais
Saint-Imier, canton de Berne
on a fait plein de conneries on a fait les quatre cents coups quoi | _ | @ | t'avais des du foot | _ | ce qu'on faisait souvent ben c'était du foot euh au jardin public | _ | on se faisait engueuler parce que on | _ | on cassait le terrain
Fribourg, canton de Fribourg
on allait dans dans les champs on rentrait pas on prenait un | _ | un panier avec deux trois bouteilles de vins un peu du | _ | à manger quoi | _ | on restait on restait dehors là | _ | on travaillait tout le long on arrêtait juste une demi-heure pour manger et pis | _ | pis on recontinuait quoi
Gruyère, canton de Fribourg
après tu fais euh tu apprends à faire attention | _ | hein | _ | mais ouais tu vois comme ça peut être con | _ | parce que tu crois que personne te comprend alors tu commences à dire des conneries sur les gens | _ | en patois et pis ils comprennent ce que tu dis | _ | hein | _ | donc après t'as pas l'air tant malin quoi
Genève, canton de Genève
et il était manoeuvre il était l'homme à tout faire dans un hôtel il rafistolait les | _ | le l'eau sanitaire électricité euh tous ces trucs-là | _ | pis après il est parti | _ | en bateau évidemment | _ | à Casablanca Maroc
Puplinge, canton de Genève
bon comme on va demander ah pis y a encore cette histoire de elle t'en a pas parlé euh | _ | cette procuration qu'il faut qu'on fasse | _ | bon ça faudra la relancer pour euh | _ | qu'elle aille se renseigner parce que ça risque d'être long | _ | parce qu'il faudra les renvoyer est-ce que on peut les renvoyer comme ça ou je sais pas
Delémont, canton du Jura
mais voilà c'est la fat/ c'est la fatalité du sport pis quand ils montaient | que sur des motos ils le savent très bien hein | _ | que peut-être ils finissent pas la course et pis euh voilà | _ | ils sont préparés à ça hein ils sont préparés à mourir | ils sont préparés à être infirmes
Porrentruy, canton du Jura
depuis quelques années | _ | elle a repris | _ | une activité professionnelle un peu différente | elle n'effectue plus de travail d'infirmière mais elle s'est formée | _ | pour euh travailler comme accueillante dans | _ | une maison verte
La Chaux-de-Fonds, canton de Neuchâtel
on a certaines coliques suivant les symptômes qu'on a au téléphone avec la personne qui peuvent être des torsions | d'estomac ou d'intestin ou d'utérus pour une jument portante | _ | qui là en général nécessitent euh | _ | d'être là euh | _ | plus rapidement que ce qu'on pourra de toute façon être hein j'entends on est toujours trop tard dans ces cas-là
Neuchâtel, canton de Neuchâtel
c'était déjà une période une autre période | _ | mais c'était ouais s/ | _ | pour moi c'était pas une mauvaise période mais c'est vrai qu'on | _ | on profitait pas tellement des alentours de la maison | _ | comme c'est le cas maintenant | _ | on fait dix mètres et pis on rencontre quelqu'un | _ | c'est moins anonyme
Lausanne, canton de Vaud
c'était des gros pressoirs donc c'était en général | _ | la récolte de la journée | _ | qui passait le soir | _ | mais ça se pressait | _ | jusqu'au lendemain à midi | _ | @ | ils pouvaient faire qu'une pressée par jour
Vallorbe, canton de Vaud
ça a pas changé non | _ | on est de ce côté-là | _ | moi je me ra/ ben moi je me rappelle | _ | étant gamin et pis euh | _ | avec euh | _ | les frangines les frangins la grande frangine | _ | qu'était | _ | % | _ | mademoiselle | faisait ses leçons on avait pas le droit d'aller | à sa chambre
Isérables, canton du Valais
le soir j'avais un petit local où c'est que ils venaient porter les mandats | tout les colis les lettres et tout le commerce | _ | et moi je leur distribuais en revenant le soir | _ | je faisais deux fois par jour la navette là pis j'avais encore les | _ | comment on appelle les courriers pour les bureaux
Martigny, canton du Valais
oelle a fait aussi les écoles euh normales obligatoires et | pis après elle a été travailler dans les dans les dans les commerces | _ | dans les commerces ben serveuse dans des bars et pis euh | _ | elle a touché un peu à tout
Les Suisses romands ont la réputation de parler à un débit plutôt lent comparé à celui de nos voisins français. En a-t-on vraiment la preuve scientifique?
Pour répondre à cette question, nous devons définir les termes débit et vitesse d'articulation. Les énoncés produits par les locuteurs sont généralement composés de parole et de pauses. Le temps de locution comprend donc le temps passé à produire la parole (temps d'articulation) et temps passé à produire des pauses (temps de pause). Le débit, également appelé vitesse de parole ou tempo correspond à la vitesse globale à laquelle un locuteur parle. Il tient compte non seulement de la vitesse à laquelle le locuteur articule, mais également des pauses que celui-ci produit. La vitesse d'articulation, quant à elle, dépend uniquement du temps que le locuteur passe à articuler la parole. Elle reflète ainsi la vitesse à laquelle un locuteur articule un énoncé sans tenir compte des éventuelles pauses produites. Le débit et la vitesse d'articulation s'expriment par exemple en mots par minute, en syllabes par seconde ou en sons par seconde (voir plus bas les vitesses d’articulation des exemples sonores).
De récentes recherches ont comparé la vitesse d'articulation de locuteurs (hommes et femmes) de différents âges provenant de diverses régions de Suisse romande (Neuchâtel, Nyon, Genève) et de France (Paris, Lyon), entre autres. Les résultats ont permis de mettre en avant les points suivants. Tout d'abord, les locuteurs des régions suisses articulent plus lentement que les locuteurs parisiens, ce qui semble confirmer l'idée commune que les Suisses romands parlent lentement. Mais fait intéressant: la vitesse d'articulation des locuteurs de Genève n'est pas différente de celle de leurs voisins français lyonnais, contrairement à la vitesse d'articulation des Neuchâtelois et des Nyonnais qui est plus lente! Deuxièmement, les différences de vitesse d'articulation observées entre les locuteurs suisses et parisiens proviennent principalement des locuteurs âgés. En effet, les locuteurs jeunes provenant des diverses régions francophones étudiées présentent une vitesse d'articulation comparable. Finalement, la vitesse d'articulation plus rapide pour les hommes que pour les femmes s'observe surtout dans la variété parisienne, mais pas ou peu dans les variétés suisses.
Ainsi, si ces études confirment l'impression d'un débit plutôt lent en Suisse romande (du moins en comparaison avec le débit parisien), elles soulignent surtout que l'influence de la variété régionale peut se combiner avec d'autres facteurs comme l'âge et le genre des locuteurs pour rendre compte des différences de débit observées entre les locuteurs.
Sandra Schwab, maître-assistante en linguistique française, Université de Fribourg
Pour aller plus loin :
Schwab, S. & Avanzi, M. (2015). Regional variation and articulation rate in French. Journal of Phonetics, 48, 96-105.
Schwab, S. & Racine, I. (2013). Le débit lent des Suisses romands: mythe ou réalité? Journal of French Language Studies, 22, 1-15.https://www.cambridge.org/core/journals/journal-of-french-language-studies/article/le-debit-lent-des-suisses-romands-mythe-ou-realite/B22B4FB9DA73D1E7A84C150324653A7C
Illustrations sonores :
vitesse d'articulation "rapide" (8.2 syllabes par seconde)
je sais pas ma ma mè/ ma mère elle fait souvent mais je sais pas si c'est vraiment | pour se moquer parce qu'elle fait toujours un peu en rigolant | ou si elle essaie vraiment d'être un peu à la mode mais des fois elle nous sort de ces trucs avec mon frère on se regarde | genre | _ | okay maman super (femme, 20 ans, Neuchâtel)
vitesse d'articulation "lente" (4.6 syllabes par seconde)
j'ai été chercher mon père | _ | on a bu quelque chose au bistrot on a discuté | _ | et pis euh | _ | c'est comme ça qu'il m'a embauché (homme, 83 ans, Fribourg)
Les langues n’ont pas de frontières bien délimitées entre elles, les mots et les expressions passent facilement des unes aux autres, particulièrement chez les locuteurices bilingues, mais aussi chez les monolingues. On parle d’emprunts, de calques ou plus généralement de marques transcodiques pour qualifier les mots ou expressions suivantes qui illustrent ce phénomène très fréquent de passage d’une langue à l’autre:
- Peindre le diable sur la muraille : calque français (traduction mot à mot) de l’allemand den Teufel an die Wand malen;
- Les gratte-ciels: calque français de l’anglais sky-scrapers;
- Natura morta: calque italien du français nature morte;
- Poutser, schlaguer: emprunts à l’allemand putzen, schlagen intégrés à la conjugaison du français;
- Un ristrette: emprunt du français à l’italien ristretto;
- Trinquer: emprunt du français de la fin du XIVe siècle à l’allemand trinken;
- Un ou une spielgruppe, le treffpunkt: emprunts à l’allemand, expressions courantes dans le répertoire des personnes francophones ayant des enfants et habitant en Suisse alémanique pour le premier, pour les Suisses romands qui prennent régulièrement le train en Suisse alémanique pour le second, etc.;
Ces marques transcodiques ont souvent été condamnées par les puristes, qui considèrent que les langues ne doivent pas se mélanger pour conserver leur génie propre. Les anglicismes sont condamnés par l’Académie française, et son site propose des équivalents bien français. En Suisse romande, ce sont avant tout les germanismes, c’est-à-dire les mots ou expressions empruntés à l’allemand ou encore traduits littéralement de l’allemand et qu’on appelle « français fédéral » en Suisse romande, qui ont été dénoncés, surtout au siècle passé. A titre d’exemple, voici ce qu’écrivait le notable neuchâtelois Marcel Godet (1877-1949), dans une publication consacrée à la langue française. Il porte un jugement sur les personnes alémaniques établies dans son canton, dont la frontière, à l’est, est aussi une frontière linguistique (entre langues romanes et germaniques):
Voyez telle famille établie chez nous depuis dix ou vingt ans. Les parents ne possédaient que des bribes de français quand ils sont arrivés. Les enfants ne savent déjà plus guère l’allemand. Ainsi l’assimilation semble très rapide, mais elle est trompeuse, parce qu’incomplète. Les fils disent comme leur père : «si je serais» pour «si j’étais», «perron» pour «quai», «comme que comme» pour «en tout cas», «j’attends sur toi» pour «je t’attends». Ils traduisent de l’allemand; la pensée demeure germanique. L’indigence de ce vocabulaire, leur syntaxe fautive, tout cet appauvrissement et abâtardissement que subit notre langue dans leur bouche n’est point sans effet sur leur entourage [...]. Aussi le problème de ces demi-assimilés, qui se croient assimilés, tout en restant étrangers aux richesses, aux finesses, aux nuances et, pour tout dire, à l’esprit de notre langue, est des plus sérieux et digne d’attention. (Cahiers de l’Institut neuchâtelois No 4, 1954, p. 15-16).
Cet extrait illustre un fait maintes fois observés par les linguistes: la notion de germanisme recouvre très souvent chez les puristes romands un grand nombre de mots ou d’expressions condamnées par la norme, même si ce ne sont pas étymologiquement des germanismes. Parmi les exemples donnés par Godet, la plupart répondent bien à la définition de calque, mais pas «si je serais», qui est une forme répandue dans toute la francophonie, malgré sa condamnation sévère par la norme, et qui ne s’explique aucunement par le contact avec l’allemand.
Le site allfran.ch continue de traquer les germanismes là où on ne les voit pas forcément. Par exemple, l’«acceptation d’un avantage» est un calque de Vorteilsannahme et l’on devrait dire «corruption passive»; «assainir» (sanieren) doit être évité au profit de «rénover»; «logopédie» est emprunté à l’allemand Logopädie, il faut préférer «orthophonie», etc.
Il est inutile de nier que le français administratif suisse romand est influencé par le contact avec la langue majoritaire, et que cela engendre une norme standard suisse différente de la norme standard française. Mais faut-il s’en offusquer, et dénoncer le français fédéral, ou reconnaitre une des caractéristiques majeures de toutes les langues, à savoir le fait qu’elles varient constamment en fonction du territoire sur lequel elles sont parlées?
Les germanismes de la langue de tous les jours sont en revanche en diminution dans le français régional de Suisse romande. Ceux répertoriés au début du XXe siècle par W. Pierrehumbert dans son Dictionnaire du parler neuchâtelois et suisse romand ne sont souvent plus compris par les générations actuelles: firôbe («repos des travailleurs à la fin de la journée», de Feierabend); schmarotser («filouter, escroquer, mendier», de schmarotzen) ; schoumacre («nom plaisant du cordonnier, surtout du cordonnier allemand» de Schumacher); maitrank («boisson rafraichissante à base de vin blanc où l’on fait infuser l’aspérule odorante ou belle étoile»); peuglise (fer à repasser, de Bügeleisen); rucsac (sac à dos, Rucksack); standse ou stanse (station verticale sur les mains, de Stand); stâl [ʃtɑːl] (fusil à aiguiser, de Stahl); tringuelte, var. tringuiette ou trindiette (pourboire, de Trinkgeld), etc.
Mais certains sont encore très courants: rösti (que Pierrehumbert orthographie reucheti); knöpfli, spätzli (boulettes ou languettes de pâte, à base de lait, œufs et farine, bouillies et éventuellement rôties); tresse (pain brioché tressé, all. Zopf); witz (gag); boiler (chauffe-eau, mot anglais passé en allemand, emprunté par le français de suisse romande avec diverse prononciations [bɔjlɛːʀ], [bøːlʀ], [bɔjlʀ]); foehn, foehner (sèche-cheveux, Föhn, marque de sèche-cheveux, début XXe); poutser (nettoyer); schlaguer (frapper fort); pételer (quémander, arrivé en français par le biais du patois jurassien paitlaie, emprunté à l’alémanique bätl’, all. Betteln); professeur ordinaire (full professor, all. Ordentlicher Professor); dire d’une nouvelle maison ou d’une nouvelle loi qu’elle est « sous-toit » (unter Dach) signifie qu’elle est à l’abri des intempéries, ou, pour le sens figuré, sur le point d’aboutir ; une action , all. Aktion, à l’origine également de it. azione correspond à « promotion » dans les autres pays francophones. Enfin, la salutation tschüss est courante dans les rituels d’interaction, dans les séquences d’ouverture comme de clôture.
Certains germanismes sont devenus des stéréotypes linguistiques, c’est-à-dire des mots qui sont utilisés pour styliser ou stigmatiser la façon de parler des Jurassiens, des Neuchâtelois et des Jurassiens bernois: fatre (père, Vater); moutre (mère, Mutter) ; catse ou cratse (chat, suisse-all. Chatze, all. Katze); stècre (bâton, déjà recensé comme «germanisme voulu» par Pierrehumbert, Stecken). Ils ne se rencontrent plus que très rarement dans les conversations ordinaires sans cette connotation qui indexe une façon de parler, comme si le locuteur ou la locutrice tenait à montrer que le terme est présent avant tout dans le registre d’une autre communauté que la sienne.
Marinette Matthey, LIDILEM, Université Grenoble Alpes et GPSR Université de Neuchâtel
Pour aller plus loin :
De Pietro, Jean-François & Matthey, Marinette (1993), "Comme Suisses romands, on emploie déjà tellement de germanismes sans s’en rendre compte …". Entre insécurité et identité linguistiques : le cas du français à Neuchâtel. Cahiers de l’Institut de linguistique de Louvain, 19, 3-4, 121-136.
Thibault, André (2000). Le traitement des emprunts dans le Dictionnaire de suisse romande : aperçu théorique et méthodologique. In Danièle Latin et Claude Poirier (éds.), Contacts de langues et identités culturelles. Québec, Les Presses de l’Université Laval, p. 69-84.
Illustrations sonores :
Stéréotypes linguistiques
de l'autre côté hein_eh ben_ vous connaissez_alors y a certains mots qui sont restés_j'étais tout gamin quand on disait pas le papa la maman on disait le fatre pis la moutre_s- ça s- ça ça m'est ça m'est resté hein_ (homme, 82 ans, Neuchâtel)
à une époque peut-être les gens de la génération de mes parents mes que mes parents n'étaient pas # mais j'imagine des chaux-de-fonniers de la même génération_avaient peut-être plus de mots euh d'origine euh suisse allemande dans leur euh_ben du genre le fatre la moutre le kratze euh des choses comme ça ouais_je pense plus_plus que les neuchâtelois_euh parce qu'y eu une très forte euh immigration suisse allemande dans les montagnes neuchâteloises (homme, 55 ans, Saint-Imier)
L’apprentissage d’une langue maternelle dans une société où l’école joue un rôle central s’accompagne d’un certain type de socialisation qui aboutit la plupart du temps à établir un classement des manières de parler. En France, ce sont les Tourangeaux et les Tourangelles qui sont censé·es parler le meilleur français; en Suisse, Neuchâtel est réputé pour la qualité de son français, réputation que les Neuchâtelois et les Neuchâteloises se seraient forgée au XVIII et XIXe siècle lorsqu’elles et ils étaient recruté·es par les cours européennes pour franciser l’aristocratie (ce qui n’empêche pas les imitateurices de caricaturer l’accent neuchâtelois!).
De manière générale, plus on s’éloigne du centre de diffusion du français (en gros, Paris), plus on risque de se voir reprocher de parler un mauvais français.
Plusieurs enquêtes du siècle passé ont mis en évidence un rapport ambigu des Suisses romand·es à leur langue. Ce rapport constituerait la base de l’«insécurité linguistique des francophones périphériques», selon le terme en vigueur en sociolinguistique. Toutes les personnes qui ont appris le français comme première langue de socialisation ailleurs qu’en France métropolitaine en seraient affectées. Ce rapport ambigu peut être vu comme une forme d’amour-haine: d’une part, les Suisses romand·es sont un peu gêné·es d’être reconnu·es lorsqu’elles et ils utilisent septante ou nonante, diner au lieu de déjeuner, parquer sa voiture plutôt que garer ou costume de bain plutôt que maillot, ou quand elles et ils s’entendent dire «mais vous avez un accent, vous!»; d’autre part ces mêmes personnes revendiquent un attachement certain aux particularités linguistiques de Suisse romande, un amour des mots et des expressions «du cru», prononcés avec un accent local forcé et assumé : le chenit («le désordre»), le caquelon («casserole pour faire la fondue»), le ruclon («fumier, compost»), la torrée («grand feu pour cuire des saucisses»), faire un tour de Sagnard («faire un détour»), les Dzodzets («les Fribourgeois»), pas toucher le puck («ne rien y comprendre»), un autogoal magistral («un but contre son camp»), un bracaillon («personne peu appliquée»)...
Pendant longtemps, ce modèle centre-périphérie n’a pas été contesté. Il confère aux locuteurs et locutrices du centre une légitimité sécurisante dans leur prise parole, par opposition aux locuteurs et locutrices de la périphérie qui ressentiraient une forte insécurité en raison de la distance perçue entre les façons de parler des gens du centre (ou plus largement des Français·es, sauf celles et ceux qui ont un accent du sud!) et les leurs.
Ce modèle n’est peut-être plus à même de capter la réalité d’aujourd’hui, qui semble se caractériser par des valeurs positives accordées au local et à la diversité, y compris pour ce qui concerne les variétés de langues. Les normes de la francophonie ne seraient plus orientées vers l’unique centre parisien, mais on verrait se constituer différents centres normatifs en Europe, en Afrique et en Amérique du nord, à même de diffuser de «bonnes façons de parler» plutôt que «LA bonne».
Si cette hypothèse pluricentrique s’avère correcte, on peut penser qu’en Suisse romande l’arc lémanique, région la plus peuplée et la plus urbaine, se constitue en centre normatif diffuseur d’un français suisse romand, sans accent régional clairement identifiable, rendu visible et véhiculé par les journalistes des médias situés dans cette zone lémanique.
Pour aller plus loin :
Matthey, M. & Heyder, K. (2018). L’insécurité linguistique des communautés francophones périphériques revisitée. Dans C. Alen Garabato, H. Boyer, K. Djordjevic Léonard & B. Pivot (éds) Identités, conflits et interventions sociolinguistiques (pp 525-532). Limoges, Lambert-Lucas.
Pöll, Bernhard, 2005, Le français langue pluricentrique? Études sur la variation diatopique d’une langue standard, Berne, Lang.
Singy, Pascal (1996). L'image du français en Suisse romande. Une enquête sociolinguistique en Pays de Vaud, Paris: L'Harmattan.